Pendant ce temps, les Tours continuent d’œuvrer pour l’éducation des futurs Gardiens.

3. L’ÉPREUVE

de Mamy Whiteaker

 

 

Rhys se détourna de la fenêtre et des gros flocons de neige qui frappaient silencieusement les vitres. Le temps l’écœurait. En fait, il le terrifiait.

Kimri, Dame d’Arilinn, était dehors dans cette affreuse blancheur. Après avoir quitté Armida, elle n’était jamais arrivée à la Tour, et aucun télépathe de Ténébreuse n’était parvenu à la localiser. Sachant pourtant qu’elle était encore en vie, on avait organisé des équipes de recherche. Des hommes et quelques Amazones Libres, dans la salle d’audience, maudissaient le temps et mangeaient pour se calmer les nerfs. Leurs voix portaient jusqu’à la salle du haut et parvinrent à ses oreilles. A leur ton, ils semblaient découragés. Pas d’empreintes, pas de traces, seule l’insistance des télépathes affirmant qu’elle n’était pas morte.

Les recherches entraient dans leur troisième jour. Payne, le frère aîné de Rhys, était arrivé de Thendara plus tôt dans la journée pour diriger cette assemblée où régnait le chaos. Sa compagne Allira et Diego, son fils nedesto âgé de quinze ans, étaient arrivés la semaine précédente ayant appris la maladie de sa belle-mère.

Rhys bâilla, déplia ses longues jambes, et quitta l’étroite banquette de fenêtre où il était assis. Le feu projetait une ombre longue et étroite sur le mur opposé, qui le fit sursauter, jusqu’au moment où il réalisa que c’était une étrange distorsion de son corps dégingandé. Il frissonna.

Tout était sa faute, bien sûr. Par Zandru ! S’il avait été plus vieux, quelqu’un l’aurait écouté, quelqu’un aurait reconnu qu’il était le chef du Domaine Alton en l’absence de son frère. Mais non ! Même Kimri d’Arilinn n’avait pas voulu l’écouter quand, en une tentative désespérée, il l’avait suppliée d’attendre le passage des nuages.

Elle avait souri et dit non. Apparemment, ses obligations étaient plus importantes que le bon sens. Elle lui avait mis une pierre-étoile, protégée par son sachet, autour du cou, disant qu’elle informerait le Cercle de son admission. Jusque-là, il devait rester à Armida et veiller sur la convalescence de sa mère. Et surtout, il ne devait pas se servir de son laran.

Enfer et damnation ! Elle l’avait sermonné comme un enfant – comme s’il ne savait pas reconnaître un problème quand il le voyait ! Il savait que l’usage prématuré du Don des Alton était dangereux. Il était assez raisonnable pour ne pas toucher a cette partie de son laran, même s’il y avait des moments où il était sérieusement tenté de s’en servir.

Rhys Alton se rongea l’ongle de l’index en fronçant les sourcils de concentration. Si seulement il était plus âgé, il pourrait faire quelque chose – ou peut-être s’il n’était pas un Alton. Après tout, Payne avait permis à Diego de participer aux recherches, et il avait un an de moins que lui.

Enfin, ce serait un moyen de se débarrasser de lui, surtout après la scène qu’il avait faite avant le départ de Kimri. Il lui avait dit qu’il avait le laran. Kimri l’avait laissé jouer sa petite comédie, mais Rhys savait qu’elle ne l’avait pas cru.

Diego ! Qu’est-ce que Diego Delleray (ainsi qu’il s’appelait lui-même) savait du laran et des Dons ? Cette lignée avait été évincée depuis une éternité. Quand ils s’étaient déclarés contre le Conseil et alliés aux Aldaran, ils avaient perdu tout droit au laran. Il était déjà assez regrettable qu’ils soient apparentés. Et tout aussi regrettable que Payne s’efforçât de le faire reconnaître pour son fils par le Conseil, afin qu’il puisse jouir de tous les privilèges des Comyn. Dans cette perspective, Payne ferait sans doute l’impossible pour prouver que Diego avait le laran. Rhys aurait pu s’habituer à dire « cousin » sans mépris, mais pas après cette incartade. Comment avait-il pu faire une chose pareille, et devant Kimri, sa future Gardienne ?

A ce souvenir, Rhys se contorsionna avec gêne devant le feu. La dernière chose qu’il lui fallait, c’était de le traîner derrière lui à la Tour. Mieux valait un Delleray perdu qu’un Alton, si les choses devaient en venir là.

Rhys soupira et jeta une grande bûche dans la Cheminée. Les flammes s’envolèrent comme des frelons de leur nid, grésillant et crépitant. Hypnotisé par ces bruits, il n’entendit pas la porte s’ouvrir.

– J’ai frappé trois fois, Rhys. Tu ne m’as pas entendu ? Je peux entrer ?

Rhys regarda par-dessus son épaule. Diego passa la tête par la porte. Ses vêtements étaient secs, mais ses cheveux roux étaient mouillés. Des perles de neige fondue coulaient sur ses joues rougies par le froid. Il semblait transi.

– Pourquoi reviens-tu ? demanda Rhys.

– Armida est mon foyer à moi aussi, tu te rappelles ? rétorqua vertement Diego.

Le rouge de ses joues s’aviva, faisant penser Rhys au soleil. Il reporta son regard sur le feu.

Le voyant froncer les sourcils, Diego se hâta de lui donner des explications.

– Je serais allé dans ma chambre, mais Payne y a mis des Amazones Libres, et m’a dit de venir coucher ici ce soir.

Rhys pensa à la chambre sous les toits de Diego, et y visualisa sept Amazones Libres entassées comme des cafards dans un trou trop petit. Il ne fit aucun effort pour étouffer son soupir.

– Entre, dit-il, haussant les épaules. Approche de la cheminée. Tu as bonne mine.

Ce n’était pas un compliment.

Diego s’approcha vivement à cette invitation, et se frictionna les mains devant le feu, dansant d’un pied sur l’autre, et racontant d’une voix saccadée :

– Je viens de rentrer, après avoir dirigé le troisième groupe au départ du camp de Mariposa. La neige tombe comme un rideau, là-bas. Le vent m’a presque arraché les oreilles !

Diego exagérait, naturellement. Il exagérait toujours quand il était excité ou nerveux. Rhys se leva et se mit à faire les cent pas. Les sautillements de Diego l’agaçaient.

– Je suppose que Payne t’a laissé partir parce que tu as l’habitude de la neige, là-haut, dans les Heller, grommela-t-il, toujours furieux contre Payne qui ne lui avait laissé prendre aucune responsabilité.

Comment son frère aîné pouvait-il favoriser le fils d’un autre homme aux dépens de sa propre famille ?

Comme s’il avait lu dans ses pensées, Diego dit :

– Il ne m’a pas favorisé, Rhys. Il serait très facile de se perdre là-bas. Et sans doute que ça te ferait plaisir.

Rhys interrompit sa marche et pivota vers lui tout d’une pièce. Les cheveux se dressèrent sur sa nuque. Il ouvrit la bouche pour protester, mais Diego reprit avant qu’il ait pu émettre un son :

– Non, je sais ce que tu penses de moi. Si je me perdais dans la tempête, ce serait un Delleray de moins dont ton Conseil aurait à s’occuper. Bon sang, vous êtes tellement arrogants, vous autres Comyn ; ça me donne envie de vomir !

Il tourna le dos à Rhys et tendit les mains vers le feu. Diego avait la gorge douloureuse d’avoir grommelé de colère contenue pendant tout le trajet de retour à Armida, dans une neige si profonde qu’il avait fait la dernière lieue à pied en traînant derrière lui sa jument terrifiée. En bas dans le Grand Hall, toutes les têtes s’étaient tournées à son entrée. Même Payne était resté sans voix quand Diego l’avait informé des conditions climatiques.

Il avait seulement voulu se rendre utile, et il n’était parvenu qu’à contrarier son cousin une fois de plus. Peut-être que tenter de devenir l’ami de Rhys Alton était aussi impossible que de remettre un poussin dans sa coquille. Il ne pouvait pas prétendre être l’égal de Rhys, même le laran ne pouvait lui être d’aucune utilité sur ce point. De toute façon, Rhys ne le croyait pas. Pourquoi essayer ? Qu’importait que Rhys souhaitât se débarrasser de lui, ainsi que la majorité des Alton ? L’étau qui lui serra douloureusement la poitrine lui fit comprendre que ça importait.

– Tu mens, Diego Delleray. Personne ne désire ta perte, et tu le sais.

Rhys tira sur la tunique de Diego, le forçant à se retourner.

– C’est vrai, Rhys Alton, et tu le sais ! répondit Diego. Reconnais-le. Si je me perdais dans la tempête, ton Conseil n’aurait pas à se soucier de ce qu’ils vont faire de moi, maintenant que Payne me reconnaît pour son fils et désire que je reçoive la formation de cadet. Ce que vous ne réalisez pas, imbéciles, c’est qu’un Delleray ne peut jamais se perdre !

Dès qu’il eut prononcé ces mots, Diego les regretta. Il gémit, portant sa main à sa bouche. La pièce se mit à vaciller autour de lui et le visage de Rhys se brouilla. Où avait-il la tête de dire ça ? C’était un aveu réservé aux oreilles de Kimri ; personne d’autre n’aurait compris.

– Qu’est-ce que tu veux dire par là ? demanda Rhys, en le secouant.

Diego se dégagea.

– Rien, grommela-t-il, s’efforçant de réprimer sa nausée.

Il ne lui manquait plus que de vomir devant son cousin. Il en entendrait parler jusqu’à la fin de ses jours. Mais Rhys insista.

– Qu’est-ce que tu voulais dire par « un Delleray ne peut jamais se perdre » ?

La dureté du ton martela la tête de Diego.

– Je me sens mal, dit-il, portant la main à sa tête.

– Oh non ! Tu n’es pas si délicat ! Et je peux toujours te le faire dire, que tu le veuilles ou non.

Diego s’éloigna de Rhys en titubant. Toute sa vie, il avait entendu parler du Don des Alton. Rhys avait hérité de cette capacité de forcer le rapport, et cela avait suffi à le faire accepter à ta Tour d’Arilinn.

Les minutes passaient comme l’éclair. Rhys lui demandait toujours ce qu’il avait voulu dire. Ses paroles rugissaient dans la tête de Diego au point qu’il pensa en devenir fou.

– Nous, ne nous perdons jamais, avoua enfin Diego d’une voix lointaine, juste pour faire cesser ces rugissements. Nous ne pouvons pas nous perdre ; ça fait partie de notre Don, qui est un rapport avec toutes les choses inanimées. Et, ajouta-t-il, étonné de sa sotte fierté, c’est bien mieux que de t’avoir pour ami !

– Je ne te crois pas.

– Bien sûr que tu ne me crois pas. Et c’est pour ça que ta précieuse Kimri va mourir dehors dans le blizzard.

Rhys mit les mains sur ses hanches, examinant Diego d’un œil critique. Il avait l’air malade.

– Tu veux dire, je suppose, que seul un Delleray peut la retrouver à cause de ce prétendu Don ? Qu’est-ce que tu pourrais faire ? Tu demanderais à un arbre par où elle est passée ?

– Je pourrais, dit Diego.

Rhys leva les yeux au ciel. Apparemment, Diego pensait pouvoir n’importe quoi parce qu’il ne s’était pas perdu en revenant.

– Mais ce n’est pas si facile. Si j’étais entraîné – mais personne ne pense que c’est important d’envoyer un Delleray dans une Tour.

– Ce n’est pas ma faute si les Delleray se sont rangés du côté des Aldaran.

Diego s’empourpra.

– Suis-je responsable de ce qu’ont fait mes ancêtres ? Je ne t’ai donné aucun sujet de me haïr, Rhys.

– Prouve-le, lança Rhys. Je te mets au défi de retrouver Kimri avec ton Don !

– Oui, défie-moi, pour ne faire ressortir, dans l’espoir que je me perde cette fois ! rétorque Diego, sachant que c’était une entreprise démentielle.

Il n’était pas entraîné. Ses ancêtres y avaient pourvu. Ils avaient rendu impossible le fait de vivre avec le laran. Et sans entraînement, on pouvait devenir fou, ce qui l’effrayait plus que la mort.

– J’irai avec toi, dit Rhys, laissant retomber ses bras, ses yeux s’animant à cette pensée.

– Si Payne te laisse partir. Ne me fais pas rire.

– Je ne plaisante pas. J’irai. Si Kimri meurt, je devrai encore attendre pour aller à Arilinn, et j’en ai assez d’attendre, dit Rhys, levant les bras au ciel.

Diego l’entendit à peine. Il était trop occupé à mettre un semblant d’ordre dans ses pensées. Si Kimri mourait, quelle chance avait-il de se faire admettre dans une autre Tour ? Au moins, elle avait promis de le tester pour le laran. Aucune autre Gardienne n’en aurait fait autant.

– Si tu meurs dehors, quelle chance as-tu d’être accepté où que ce soit ? demanda-t-il.

Il pourrait peut-être sauver Kimri tout seul, mais si Rhys venait, qui n’avait pas la connaissance de la neige, peut-être qu’ils seraient condamnés tous les deux.

Rhys choisit d’ignorer cette remarque. Et ses paroles suivantes furent stupéfiantes.

– Trouve-la, Diego. Au nom de tous les dieux, trouve-la, et je ferai tout ce que je pourrai pour que tu sois accepté à la Tour.

– Pourquoi le ferais-tu ? lui lança Diego, comme il aurait lancé une insulte.

– Parce que, répondit Rhys, irrité par la question.

Diego s’assit en haussant les épaules.

– Qu’est-ce qui t’empêchera de dire que c’est toi qui l’as trouvée ?

– Je ne pourrais pas faire une chose pareille, explosa Rhys avec colère.

Dehors, la neige martelait les vitres à coups sourds. De nouveau, Rhys avait froid.

– Tu parles !

– Diego, je le jure. Je ne pourrais pas faire une chose pareille.

– Et je répète, tu parles !

Rhys pivota vers lui, dégainant le couteau qu’il portait à la ceinture. Diego pâlit. Rhys le pointa sur lui un instant, puis le jeta sur le lit.

– Tiens. Que ce couteau soit le garant de ma promesse, lança-t-il dans l’atmosphère tendue.

Muet de stupeur, Diego ramassa le couteau, dont la poignée d’argent projeta des reflets scintillants au plafond. Rhys était désespéré, c’était sûr. Echanger les couteaux était un geste de bredin. Si Diego donnait le sien à Rhys, ils deviendraient frères jurés, obligés par serment à se protéger mutuellement jusqu’à la mort.

– Eh bien ? Ça ne te suffit pas ? demanda Rhys avec impatience, tapant du pied au rythme des flocons de neige.

– Tu sais ce que tu fais ? murmura Diego, stupéfait.

– Oui, bien sûr, et je le regretterai peut-être, mais ça dépend de toi. Tout ce que je peux dire, c’est que j’espère que tu ne mens pas.

Diego se leva d’un bond, prit son couteau et le tendit à Rhys, en le présentant par la poignée, petite, légère et insignifiante comparée a celle, très décorée, du couteau de Rhys qu’il serrait dans son autre main.

– Tu ne le regretteras pas, promit Diego, la voix brisée d’émotion et de fierté. Je le jure, bredu. Je ne t’abandonnerai jamais.

 

Avec un grognement, Diego décolla ses gants gelés du pommeau de sa selle. Il prit une profonde inspiration qui gela le son dans sa gorge. La neige, qui avait cessé quelques heures avant l’aube, se remettait à tomber. Elle lui perçait la peau de mille aiguilles qui lui faisaient monter les larmes aux yeux. Il avait les joues gelées, ses pieds étaient glacés malgré ses bottes doublées de fourrure, et ses paroles hésitaient dangereusement au bout de sa langue.

Mais qu’est-ce qu’il pouvait dire ? Rhys s’attendait à ce qu’il échoue. C’était la vérité. Sinon, pourquoi aurait-il risqué son couteau ? Rhys pouvait toujours le reprendre si Diego ne tenait pas sa promesse. Pourquoi avait-il l’impression de devoir quelque chose à Rhys Alton, surtout une faveur de ce genre ? Désirait-il tant être accepté par le frère de son père qu’il risquait leurs deux vies ? Ou était-ce quelque chose de plus profond ? Etre accepté par les Comyn lui semblait-il si désirable que cette folie lui paraissait plus brave et honorable que la vie sans laran ?

Ils avançaient péniblement depuis plusieurs heures à travers des rideaux de neige. Il leur avait été facile de sortir d’Armida sans être vus. Personne, de tous ces corps endormis, n’avait remarqué les deux garçons qui se dirigeaient vers les cuisines et allaient aux écuries. Diego avait seulement regretté de ne pas avoir le temps de se reposer et de manger. Sur le moment, le repos n’était pas envisageable, et la seule idée de nourriture lui donnait la nausée.

Il baissa les paupières pour protéger ses yeux des flocons. Il ne voyait qu’une seule chose : les lignes bleues de la matrice de Kimri. Elles ressortaient sur les motifs ternes tournoyant au fond de son esprit. Il avait la migraine et les nerfs à vif après le contact qu’il avait établi avec le sachet de soie que Kimri avait mis au cou de Rhys. Ce contact lui avait permis de visualiser les motifs, mais il lui était difficile de les voir avec netteté.

S’il pouvait retrouver ce motif sur un objet inanimé qu’elle aurait touché, il la retrouverait sans problème. Malheureusement, chaque fois qu’il ouvrait les yeux, les traces laissées par d’anciens voyageurs lui donnaient le vertige et la nausée. La voix et le visage de Rhys s’estompaient, ou se présentaient à lui avec une netteté parfaite, comme s’il n’était qu’à quelques pouces. Et chaque fois qu’il fermait les yeux, le bleu du motif de Kimri emplissait les ténèbres. Si Kimri avait emprunté l’itinéraire qu’ils suivaient actuellement, la lumière bleue de sa matrice tournoyait parmi la multitude des autres venus et repartis avant elle. Cela l’incita à démonter, raide de froid, afin de toucher l’objet pour aviver le motif.

Diego n’avait pas été entraîné à filtrer les motifs anciens, et en conséquence, ce contact l’obligea à apprendre à les trier. Il sortait souvent de cet exercice incohérent et désorienté. Rhys ne pouvait rien faire, qu’attendre. Pour le moment, il attendait.

Diego se força à soulever ses paupières, regardant entre les flocons la silhouette floue qui était son cousin. Il secoua la tête, mouvement qui lui fit mal comme si on la serrait dans un étau.

Individu très indépendant que ce Rhys Alton. Bredu, pensa-t-il, mais ni l’un ni l’autre n’avaient mérité une raison d’user de ce terme. Une vantardise et un défi ne suffisaient pas à faire des bredin de deux jeunes gens hostiles. Travailler ainsi avec moi doit être terrible pour toi, pensa-t-il, incapable d’empêcher les puissants énergons bleu argent de Rhys de se disperser dans toutes les directions. Diego se cramponna au pommeau de sa selle pour ne pas tomber de sa jument.

Il détourna les yeux, se félicitant de la couverture nuageuse. Scrutant le paysage autour de lui, il soupira. La vallée se remplissait de neige comme si Zandru lui-même avait décidé d’en faire son dixième enfer. La neige recouvrait la route de Syrtis. Au bord lointain de la vallée, des formes irrégulières dissimulaient les pics et les corniches. Il savait que c’était une formation rocheuse appelée les Perdrix, qui avait abrité autrefois une certaine espèce de faucon sauvage utilisée en fauconnerie. Abandonnée maintenant, parce que les contrebandiers d’une autre époque avaient la passion des œufs mouchetés de rouge, il ne restait que les bouches noires des grottes vides et des crevasses.

Si quelqu’un désirait se mettre à l’abri de la tempête, les Perdrix lui assuraient une ample protection contre les éléments. A cette idée, Diego força son esprit à surimposer le motif bleu de Kimri sur les bosses drapées de neige. Elles semblaient très lointaines, et d’autant plus qu’il était très fatigué.

Diego se pencha en avant sur sa selle, qui crissa et gémit sous son poids.

Des jaunes, des verts, et même des bleus passés dansotèrent sur le roc situé à sa droite. Ces bleus étaient anciens et estompés, et pourtant, comme une onde se propageant dans l’eau, l’un d’eux semblait plus vif que les autres. Kimri ?

Une bourrasque le déséquilibra, le projetant sur le cou glacé de sa monture. Le cheval hennit, fit quelques petits pas nerveux de côté, ballottant Diego qui s’efforçait de rester en selle.

Une main gantée saisit ses rênes, et la bête s’immobilisa aussitôt. Une autre main gantée le redressa. La poigne était puissante. Son regard rencontra les yeux malicieux de Rhys Alton.

– C’est de la folie, Diego ! cria Rhys pour dominer la tempête. Kimri n’allait pas à Syrtis ! Ce n’est pas le chemin.

Diego secoua la tête, des plaques de glace se détachant de son capuchon.

– Non, Rhys, je crois qu’elle est là-bas, dit-il, pointant un doigt tremblant sur le plus haut pic des Perdrix.

– Tu es fou ? dit Rhys, bouche bée.

Des flocons se posèrent sur sa langue, fondant instantanément. Il déglutit.

– Là haut ? Kimri ne pourrait jamais y aller. Pas à une telle altitude.

Ignorant le ton belliqueux de Rhys, Diego tendit de nouveau le doigt vers l’endroit où dansotait le motif bleu. Rhys se pencha sur lui et dit avec colère :

– Diego, je suis trempé jusqu’aux os, gelé sur ma selle, et il n’est pas question que tu me traînes à travers cette vallée dans cette neige. Je rentre à la maison.

– Rhys ! cria Diego, cherchant à tâtons à lui saisir le poignet. Il faut que tu me croies. J’ai vu quelque chose. Elle est là. Je le sais. Il faut qu’elle y soit, pria-t-il intérieurement.

Rhys baissa les yeux avec horreur sur la main gantée de Diego qui lui tenait le poignet. Le rapport s’établit dans un flux émotionnel, qui jaillit en rugissant de quelque profondeur secrète, ouvrant un canal entre leurs deux supplices. Rhys avait entendu la supplication muette de Diego. Il succombait à son incertitude et à sa nausée. Cela le révolta. Il dégagea sa main comme s’il s’était brûlé au feu d’une forge. Diego gémit.

– Je t’en prie, Rhys, supplia-t-il, nous sommes si près. S’il te plaît. Il n’y a plus que la vallée à traverser. Si je n’obtiens pas une image plus nette, nous ferons demi-tour. Mais je ne partirai pas maintenant, même si tu t’en vas.

– Tu es fou. Par Aldones, pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu étais malade ? Tu ne sais pas ce que tu fais, dit Rhys, outré.

Diego parvint à redresser les épaules.

– En bien, ne me crois pas. Rentre à la maison, espèce de lâche.

Diego éperonna son cheval dans la direction qu’il avait indiquée.

– Bon sang ! jura Rhys, furieux de l’insulte, furieux contre cette partie de lui-même qui n’osait pas violer le serment de bredu.

Belle occasion de le respecter ! Il fit tourner son cheval, ne sentant plus ses rênes qui, entre-temps, s’étaient collées à ses gants.

– Diego ! hurla-t-il jusqu’à ce que son compagnon se retourne. D’accord. Mais si tu tombes de cheval, je te ramasse et je te ramène à la maison. Imbécile, marmonna-t-il en secouant la tête. Je suis un imbécile d’avoir cru qu’un Delleray pouvait savoir ce qu’il faisait.

– Je ne mens pas, Rhys.

Diego n’avait pas ouvert ses lèvres tuméfiées. Rhys saisit clairement la pensée. L’émission était puissante.

– Ouais, mais tu es malade. Allons, viens. Montons là-haut avant que Zandru ne nous transforme en stalagmites.

 

Diego chancela de l’avant sur des jambes mal assurées, tendant les bras devant lui pour s’empêcher de tomber. Ses gants s’enfoncèrent jusqu’aux coudes dans la neige poudreuse. Maintenant, il sentait à peine ses doigts engourdis par le froid. Mais le motif d’énergons était là. Il le repéra, en un brillant éclair familier. Il ne s’était pas trompé. Les arabesques bleues de la Gardienne Kimri scintillaient sur le rocher couvert de neige, comme si elle avait été assise devant lui. Ils étaient tout près. Diego ferma son cerveau au monde extérieur, pour ne plus voir que les lignes bleues puisant sur la face de la falaise.

– Diego ! Diego !

Il gémit quand un éclair argenté dispersa le motif bleu sous ses doigts. Une voix l’appelait en hurlant. On aurait dit le hurlement du vent qui le secouait du même mouvement répété que les branches des arbres lointains.

– Diego, reviens ! Sors de ta transe, dit la voix sévère. Arrête de me faire une peur pareille !

– Quoi ?

Diego ouvrit les yeux, s’efforçant d’accommoder sur les yeux gris de son cousin. Il sentit l’haleine de Rhys sur sa joue glacée. Elle était chaude ! La chaleur existait-elle encore dans ce monde gelé ?

– Quoi ? répéta-t-il, surpris de la faiblesse de sa voix.

– Arrête. Rentrons. Laisse un autre la trouver, supplia Rhys. Ils la retrouveront. Mais ne m’effraie plus comme ça.

Rhys le secoua. Il ne savait pas ce que Diego avait vu, mais ses yeux vides et vitreux étaient terrifiants.

Tout cela était absurde. Pourquoi n’avait-il pas écouté Payne ? Pourquoi Kimri ne l’avait-elle pas écouté ? Ils allaient mourir là. Il avait été fou de croire Diego. Il avait été aux abois. Diego avait le laran, d’accord. Mais il avait aussi la maladie du seuil. Il ne pouvait même pas distinguer si Diego était en rapport avec les rocs ou s’il entrait en crise. Ses canaux étaient troubles, gris comme les nuages. Il fallait rentrer. Paniqué, il se mit à marmonner.

– Je suis un imbécile. Tu n’es pas fou, tu es malade. Je t’ai mis au défi d’entreprendre ces recherches. Tu m’as dit que tu pouvais établir le rapport avec les roches. Par les enfer de Zandru, c’est un Don disparu depuis une éternité. Si tu n’arrêtes pas, ton corps va entrer en crise. Bon sang, ajouta-t-il, secouant la tête avec véhémence, pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu avais la maladie du seuil ?

Diego s’affaissa en avant, le menton sur la veste couverte de neige de Rhys. Des flocons tournoyaient paresseusement autour d’eux.

– Rhys, je sais où elle est, marmonna Diego. Mais je… je ne peux pas… termina-t-il d’une voix étranglée.

Rhys serra contre lui le corps flasque de Diego.

– Je vais demander quelqu’un. Ils pourront reprendre les recherches à partir d’ici, mais nous devons rentrer. Ils la trouveront, lui dit-il à l’oreille.

– Non ! hurla-t-il mentalement. Elle ne vivra pas jusque-là. Elle baisse rapidement.

Soudain, Diego enfonça ses ongles dans le dos de Rhys.

– Rhys, tu es un Alton, prends les indications dans ma tête ! Je ne peux pas les visualiser à cause de la maladie. Je ne peux pas les exprimer en paroles. Je t’en supplie, Rhys !

Rhys le regarda, horrifié. Où Diego était-il allé chercher cette idée ? Cela pouvait le tuer. Puis il se souvint, et oppressé, prit une profonde inspiration. Il l’avait lui-même donnée à Diego. La colère et l’orgueil l’avaient fait se vanter d’un pouvoir dont Kimri lui avait interdit l’usage.

Comment seulement penser à s’en servir ? Par Aldones, il ne savait même pas comment le contrôler. Le Don des Alton était le don des rapports forcés. Une confiance totale était essentielle pour ne pas mutiler la victime. La victime. Diego avait toujours été sa victime. Il n’avait jamais cru qu’un Delleray pût être digne de sa confiance ou de son amitié.

Alors, pourquoi lui as-tu jeté ton couteau ? Tout est ta faute. Tu as aspiré aux responsabilités toute ta vie, et maintenant, tu es tout prêt à t’y dérober. Adulte ? Sûrement pas. Deviens-le maintenant. Maintenant ou jamais.

Une voix soumise fit irruption dans la tempête intérieure de Rhys. Elle était claire, calme.

– J’ai confiance en toi.

Rhys inspira brusquement.

– Je pourrais te provoquer une crise. Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu étais malade ?

Comme à la suite d’un coup, la voix s’éloigna.

– Je ne supportais pas l’idée que tu te moques de moi. Parce que tu aurais ri.

Frappé par cette vérité, Rhys resta sans voix.

– Il y a un couteau entre nous. J’ai confiance en toi parce que tu m’as cru. Je sais où est Kimri. Dépêche-toi, prends le renseignement dans ma tête avant que je m’évanouisse, que je vomisse ou que je meure.

Rhys saisit le poignet de Diego. Il n’était pas digne de sa confiance. Tout son corps tremblait. Diego n’en avait-il pas fait assez pour prouver son amitié ? Même sans le couteau, ils étaient des frères doués de laran. Ils étaient bredin.

Il essaierait une fois de plus de le décourager.

– Diego…

– S’il te plaît, bredu.

– Je pourrais te tuer.

Diego secoua la tête.

– Tu ne comprends toujours pas. C’est Kimri que tu tues, pas moi, si tu ne m’aides pas maintenant. N’est-elle pas plus importante pour Ténébreuse que toi et moi ?

Et cette fois, ce fut Rhys qui recula comme sous un coup, frappé de la vérité de ces paroles. Il n’y avait plus à discuter, et il le savait. Tendrement, il serra Diego plus fort.

– Tu as raison, et j’ai tort. Merci, bredu.

– Ne me remercie pas. Dépêche-toi.

Dépêche-toi !

Rhys scruta la face de la falaise. Le vent bourdonnait autour des rochers. Kimri était là-haut. Comprendrait-elle ? Il devait utiliser le Don des Alton. S’il tuait Diego, il les tuait tous. Elle devrait comprendre qu’il avait dû s’en servir pour la sauver – mais il avait peur. C’était sa responsabilité.

Dépêche-toi !

Il posa la main sur le front de Diego et se concentra profondément en se mordant les lèvres.

 

– Arrête !

L’avertissement emplit l’esprit de Rhys. Il se força à reprendre conscience et leva les yeux. Kimri d’Arilinn était debout devant lui, vêtue d’épaisses fourrures et de grosses bottes. Elle le regardait avec un sourire mélancolique et bienveillant.

– Ce ne sera pas nécessaire.

Elle se pencha et couvrit de sa main les yeux de Diego, tandis que d’autres télépathes d’Arilinn sortaient de la neige autour d’eux.

– Les garçons sont vivants, déclara-t-elle solennellement. Vous vous en êtes bien tirés tous les deux.

– Bien tirés ? répéta Rhys, frappé de stupeur.

L’idée que toute cette situation avait été machinée d’avance explosa dans sa tête comme un brasier. Il se mit à trembler. Bien tirés ? Ce n’était pas du théâtre !

– Il aurait pu mourir ! lui hurla Rhys.

– Je ne crois pas, dit un homme trapu aux cheveux roux mouillés de neige. Kimri est bon juge des hommes.

La Gardienne se leva, faisant signe à cet homme de soulever le corps de Diego étendu dans la neige. Une main saisit le coude de Rhys et l’aida à se relever. Rhys fixa la Gardienne, incapable de dissimuler sa fureur.

– Même moi, je ne peux pas mettre mes responsabilités en question, Rhys Alton. Trop de vies en dépendent.

Elle regarda les deux amis debout devant elle.

– Amenez-les, dit-elle et elle s’éloigna.

Si Rhys n’avait pas su que c’était impossible, il aurait juré qu’il était dans le Hall d’Armida, et non dans une grotte des Perdrix.

Assis près du feu, il buvait du vin chaud aux épices et se sentait nerveux. Intérieurement, il bouillait de colère. Les hommes de Kimri avaient emmené Diego quelque part, et, bien qu’on l’eût assuré que son cousin vivrait, Rhys ne parvenait pas à le croire. L’idée que Diego et lui auraient pu mourir dans ce désert de neige, que des femmes et des hommes innocents auraient pu mourir, convaincus de chercher à la sauver, alors qu’elle avait toujours été en sécurité, le faisait bouillir. Elle leur avait menti. Comment pourrait-il jamais avoir confiance en elle ?

– Rhys ?

A son nom, il se retourna. Payne et Kimri, côte à côte, étaient debout à l’entrée du tunnel s’enfonçant dans la montagne. Rhys grogna à l’idée que son frère était au courant depuis le début, qu’il avait peut-être même échafaudé ce plan avec Kimri. Il s’avachit sur son siège. Ils s’approchèrent.

– Diego va bien ? demanda Rhys sans lever les yeux.

– Il doit être remis maintenant, répondit Payne.

Un long silence suivit.

– Tu as quelque chose à me dire ? demanda Kimri.

– Ce n’est pas juste, marmonna-t-il.

Elle lui demanda de répéter, et il répéta :

– Ce n’est pas juste.

– Peu de choses le sont dans la vie. Je dois me préoccuper de la façon dont chacun affronte les injustices, et toi aussi. Est-il juste que Diego souffre pour les péchés de ses ancêtres ? Serait-il juste, Rhys, qu’un Don longtemps caché soit perdu, uniquement parce que des insensés sont résolus à vivre selon la tradition et à ne rien voir au-delà de leur vie confortable de Comyn ?

Rhys tapait nerveusement du pied sur le sol, sans lever les yeux.

Kimri avait raison. Il avait lui-même été sur le point de rompre avec la tradition avant son arrivée. Il se serait servi du Don des Alton sans y avoir été préparé.

– Alors ? demanda Payne.

– Non, ce n’aurait pas été juste.

– Alors, un jour peut-être, tu trouveras dans ton cœur le courage de me juger justement. Vous êtes tous deux bienvenus à Arilinn, dit-elle.

Et comme Rhys ne répondait pas, elle ajouta :

– Je vais t’envoyer Diego.

 

– C’est mon fils, même si ce n’est pas moi qui l’ai engendré. Je ne pouvais pas le laisser mourir, dit Payne quand Kimri fut sortie.

– Il s’en est fallu de peu.

– J’avais foi en toi, Rhys.

Rhys regarda son aîné, stupéfait.

– Armida t’appartiendra un jour. Maintenant, je sais que je laisserai le Domaine en de bonnes mains.

– Armida ?

– Je n’aurai pas d’autre fils, Rhys. Pour moi, il était crucial de savoir ce que vous feriez tous les deux. Il fallait que je sois sûr.

– Mais Diego…

– N’a pas le Don des Alton, qui s’hérite par le sang. Je donnerai à Diego ce que je pourrai, mais Armida sera à toi. Et je suis sûr que tu utiliseras ton Don avec sagesse. Ah, voilà Diego.

Sur ce, Payne se retira tandis que Diego entrait. Une salutation muette passa entre le père et le fils quand ils se croisèrent.

Diego avait l’air fatigué, mais il commençait à reprendre des couleurs, et les reflets du feu dansaient dans ses yeux verts. Il tenait quelque chose dans la main gauche.

– Je ne savais pas, Rhys. Vraiment. Elle avait promis de me tester pour le laran, mais je n’avais jamais pensé qu’elle le ferait de cette façon.

Rhys ne savait pas quoi dire. Il croyait Diego, mais il ne savait toujours pas s’il pourrait pardonner à Kimri.

– Tiens, dit Diego, lui tendant le couteau. Tu veux sans doute que je te le rende.

– Surtout pas, dit Rhys, posant la main sur celle de son frère pour la repousser.

Le rapport fut instantané, puissant et net. Ils savaient tous deux qu’ils avaient mérité le droit de se donner le nom de bredin. Tous deux avaient appris que l’amitié ne se donne et ne se reprend pas facilement. Soulagés, ils s’étreignirent, tandis que leurs éclats de rire emplissaient la grotte.

L'empire débarque
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